SOUND OF METAL


Drame/Musical/Histoire touchante & un travail remarquable sur le son pour nous faire vivre un ressenti

Réalisé par Darius Marder
Avec Riz Ahmed, Olivia Cooke, Paul Raci, Lauren Ridloff, Mathieu Amalric...

Long-métrage Américain
Durée : 02h00mn
Année de production : 2019
Distributeur : Tandem

Date de sortie sur nos écrans : 16 juin 2021


Résumé : Ruben et Lou, ensemble à la ville comme à la scène, sillonnent les Etats-Unis entre deux concerts. Un soir, Ruben est gêné par des acouphènes, et un médecin lui annonce qu'il sera bientôt sourd. Désemparé, et face à ses vieux démons, Ruben va devoir prendre une décision qui changera sa vie à jamais.

Bande-annonce (VOSTFR)


Film découvert pendant la 
46ème édition du Festival du Film Américain de Deauville - En compétition

Ce que j'en ai pensé : avec SOUND OF METAL, le réalisateur Darius Marder nous partage l'histoire d'un deuil. En effet, le scénario, qu'il a co-écrit avec son frère Abraham, fait transiter le protagoniste principal, Ruben, par toutes les phases qui accompagnent la perte de son audition. Ils ont très justement saisi l'intensité de ce changement brutal et décrivent un cheminement crédible.

Darius Marder exprime une belle sensibilité avec sa caméra, que ce soit lorsqu'il filme les scènes musicales, les moments intimes ou encore les instants de panique qui envahissent le personnage central. Alors que les étapes de la narration sont assez classiques, la façon dont le réalisateur réussit à faire se représenter aux spectateurs la surdité est remarquable. Le travail du son permet de comprendre l'impact de la perte d'audition et la nouveauté à laquelle Ruben doit faire face dans sa vie.

Ce dernier est interprété par Riz Ahmed, toujours très bon, qui apporte une grande franchise à son personnage. Il nous transmet des émotions à fleur de peau, en accord avec le passé de ce jeune homme, tout en intégrant une forme de retenue aussi. On s'attache beaucoup à ce protagoniste qui souffre, mais ne cherche pas à rendre son entourage misérable pour autant.




Ruben vit une histoire d'amour intense avec Lou, interprétée par Olivia Cooke. Elle complète parfaitement Riz Ahmed pour nous faire croire à la fusion de ce couple.



Le père de Lou est, quant à lui, interprété par Mathieu Amalric qu'on a plaisir à voir dans ce petit rôle.

Copyright affiche/photos @ Tandem

SOUND OF METAL nous propose une manière inattendue d'aborder la surdité en nous la faisant ressentir. C'est un film qui, au travers d'une expérience touchante, cherche à expliquer et à montrer que la vision collective sur cet état où le silence est roi peut être différente. 

NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Le 8 décembre 2020, j'avais eu l'opportunité de participer au débat « Riz Ahmed x Darius Marder x Nicolas Becker x Tandem » organisé en ligne par Tandem pour SOUND OF METAL. 

Étaient présents Nicolas Becker l''ingénieur son du film, Riz Ahmed, l'acteur principal et Darius Marder, le réalisateur du film. Vous retrouverez ci-dessous une partie de la retranscription de cette heure d'échanges avec l'équipe du film. 

La première question était pour Riz pour savoir comment est son français à présent, alors qu'il le pratiquait il y a plusieurs années. Riz a répondu qu'il est comme ci comme ça. Il a appris le français à l'école mais il a beaucoup envie de travailler en français et il espère que Nicolas Becker pourra donné son CV à des réalisateur français. Il a indiqué avoir travaillé avec Jacques Audiard et Jean-Jacques Annaud et que donc son prochain film sera peut-être en français, on verra. 

La deuxième question s'adressait à tous les intervenants : SOUND OF METAL pourrait être le miroir de ce qui s'est passé en 2020, une année où on a vécu dans des bulles loin des autres, parfois avec des dialogues impossibles et aucun moyen de parler aux autres, est-ce qu'ils auraient imaginé le film avec cette idée ? Darius a répondu, avec humour, qu'il y a 13 ans, il s'est dit à lui-même qu'il pensait que s'il commençait son projet à ce moment-là, il pourrait programmer ce film pour une épidémie mondiale et que ce serait le pire moment pour lancer un film, mais qu'il y aurait alors ce parallèle profond. Il trouve la situation intéressante parce que c'est vraiment un microcosme au quotidien de vivre cette expérience d'attente face à une force qu'on ne peut en rien contrôler, une crise sanitaire que nous pouvons pas maîtriser et si on nie son existence, elle nous frappe. La ressemblance entre le film et la situation est remarquable et profonde. Il ne s'agit que de s'accepter soi-même, c'est ce qu'il vit, il ne voyage pas, il ne m'amuse pas, il n'y a pas de fête, pas de verres (entre amis), pas de moyens de se regarder dans les yeux une fois qu'on a vu le film. Tous les amusements habituels qui sont en fait lié à l’ego n'existent plus. Mais ce qui est en train de se passer c'est que les gens sont en train de vivre une vie d'adulte pour la première fois de leur vie. Nous sommes obligés à une échelle globale de vivre avec nous-mêmes de vivre avec la solitude et la grande abysse. Il a dit qu'il ne sait pas s'il échangerait ce moment et ce film même pour toutes les choses que nous ratons, il pense que c'est parfait. 

Pour Nicolas, ce projet était si rempli d'humanité, c'était une sorte d'utopie, ils étaient tous très proches, il y avait beaucoup d'émotions. Pour lui, c'est vrai que c'est difficile de continuer sa vie. Il est enfermé dans un studio sans pouvoir se connecter vraiment aux gens. Au moment de cet échange, il était en train de refaire des enregistrements et il se sentait revivre, il trouvait cela étrange. Mais il a ajouté que c'est la vie de Darius d'être connecté. Il a continué en disant que le film est très ouvert, il y a beaucoup de place laissée au public pour mettre ses émotions dans le film et réagir. Il pense que le film est comme un miroir du fait qu'il soit libre d'interprétation. C'est ce qu'il aime dans la réalisation de ce film, il est très ouvert.

La troisième question était pour Nicolas, au sujet de l'ambiance du film qui est tellement importante dans son travail, on lui a demandé dans quelle mesure il a pu la créer pendant les répétitions ou pendant le tournage ? Et plus spécialement pour les scènes parisiennes ? Nicolas a su dès le début que le son du film devait être supra diégétique, il fallait que tout soit le plus réel possible, il a donc pensé très vite à un procédé, avant même qu'il rencontre Darius, il avait en tête que les acteurs devraient jouer leur propre musique. Olivia et Riz se sont beaucoup entraînés pour pouvoir jouer vraiment et d'une manière cinématographique. Selon lui, il est très important d'installer l'idée que tout ce qu'on écoute est brute et vrai. Après ils ont essayé de tout enregistrer et même si le son est parfois reconstruit, cela part d'un original de ce qui avait été enregistré pendant le tournage. Il a voulu être proche de l'idée de Darius d'avoir une approche documentaire, même dans les effets qu'ils ont fait avec Riz quand le son était étouffé, ils ont enregistré ces sons avec des appareils et des micros branchés sur le crâne de Riz. Ils ont essayé de recréer une fiction à partir d'une réalité. Riz devait jouer avec quelque chose dans les oreilles, Darius a eu l'idée de simuler la surdité, pour que Riz puisse vivre cette condition. Le film est puissant car il y à un engagement physique. Le son que Riz entend est un conglomérat de beaucoup de sons, mais une grande partie du film est comme cela, il est une expérience, une sorte de voyage. C'est quelque chose dans lequel il fallait être engagé physiquement. Il pense que le film s'adresse aux sens et à l'esprit, mais aussi au corps. 

Darius a complété en disant qu'il adore cette manière de le dire.  Il ajoute que d'ailleurs, ils ne laissaient pas Riz entendre sa propre voix, ce qui est différent encore par rapport à ne plus rien entendre ou d'avoir un bruit blanc ou un acouphène. Les acouphènes rendent d'ailleurs les gens fous. 

Nicolas a ajouté qu'il a travaillé sur beaucoup de films français avec des acteurs français, mais qu'il y a une approche différente. C'était la première fois de sa vie qu'il faisait du bruitage. Pour un acteur anglophone, l'engagement du corps est beaucoup plus important. En France, on a plus cette culture du parler, de transmettre des émotions sur le visage. Pour les acteurs anglais, le corps est beaucoup plus engagé dans le jeu. Cela a permis au film d'exister du fait de cette culture du jeu. Il serait plus difficile de faire ce film en France à cause de cette différence de culture du jeu.

Pour la quatrième question adressée à Riz, l'intervenant a indiqué être fils d'immigré et que la représentation de la diversité au cinéma le touche beaucoup. SOUND OF METAL s'adresse à la communauté sourde, il lui a donc demandé ce qu'il ressentait par rapport à cela. Et aussi est-ce que qu'on lui propose d'autres types de rôles? Riz a répondu qu'il trouve cela intéressant, car il pense que c'est un film qui fait avancer la représentation de la communauté sourde au cinéma. Ce n'est pas quelque chose qu'il constate, mais qu'il entend de la part de cette même communauté. Il pense qu'il est très important de noter que c'est la communauté sourde qui se représente elle-même. Tous les acteurs et actrices qui sont sourds dans le film, le sont dans la vraie vie. Il y a beaucoup d'improvisation, de moments très authentiques comme, par exemple, la scène du dîner. Ce sont des moments que l'on a jamais vu représenté sur un écran, alors que cela représente parfaitement ce que peut être un dîner dans une famille sourde. Ce n'est pas du tout silencieux et c'est même bruyant, car tout le monde essaie d'attirer l'attention de l'autre en tapant sur la table. Ce sont des choses intuitives qui ne peuvent pas être inventées. Il s'est senti privilégié de faire partie d'un projet où la communauté sourde se représente elle-même et pas d'une manière manichéenne, mais d'une façon riche et complexe à l'image de la communauté sourde. Il y a beaucoup d'expériences différentes dans la surdité : surdité tardive, ceux qui ont un implant cochléaire,  ceux qui sont nés sourds, ceux et celles qui parlent et qui signent. Il pense qu'en terme d'identité politique, on se trompe parfois de combat en se disant que c'est notre travail de devoir se battre pour la représentation des acteurs qui lui ressemble, mais en fait il ne pense pas que ce soit comme cela, quand on étend les cultures, c'est une victoire pour tout le monde. Un film comme Crazy Rich Asians par exemple est une victoire. Le but de faire tomber ces barrières est de réussir à se dire que les notions de 'nous' et 'des autres' n'existe plus, au profit juste d'un 'nous'. Pour cela, il faut susciter l'empathie et s'identifier avec les personnages sourds du film, ce qui serait une vrai victoire humaine pour tous et toutes. 

Sur la question des rôles qu'on lui propose, il a indiqué que son expérience peut porter à confusion. En général, dans le monde il y a encore beaucoup de trajet à faire, en particulier sur la représentation des personnes originaires de l'Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient, et des femmes en particulier, notamment celles de couleurs. Cette tendance systémique d'absence de représentation doit être corrigée. A son niveau, il a eu un parcours particulier,  avec de la chance et des cadeaux. SOUND OF METAL était un vrai cadeau et il est très reconnaissant. 

La cinquième question était 'y a t'il une histoire derrière les tatouages de Ruben ?' Darius a estimé que c'était plus une question pour Riz, car il y a eu toute une réflexion pour arriver à ces tatouages. Les tatouages ne sont pas des vrais. Il a ajouté avec humour qu'il a demandé à Riz de vraiment s'impliquer sur le rôle, mais tout de même pas à ce point-là.  Mais les tatouages étaient une manière pour Riz de rentrer dans le rôle. Ils sont une référence à la culture punk, plus qu'à la culture métal. Mais quelques-uns sont très métal. Riz a travaillé avec Sean Powell, qui est un ancien batteur incroyable et ancien addict et qui a eu une vie assez extraordinaire. Sean a été en quelque sorte le modèle de Riz pour le film. Darius a ensuite proposé à Riz d'en parler parce qu'il trouvait ça cool. 

Riz a pris la parole en expliquant que Sean, du groupe Surfboart, était effectivement son mentor. Darius l'a mis en contact avec lui. Il a en effet été batteur et c'est un ex-addict, il a eu une vie incroyable, il était dans un groupe avec sa conjointe. Il est couvert de tatouages. Ce qui intéressait Riz le plus avec les tatouages était d'avoir écrit sa propre histoire sur son corps.  Les tatouages sont une manière de représenter sa vie, voire même de les marketer sur soi-même. Ce que les tatouages représentent est réel, tangible et un souvenir. Certains des tatouages de Ruben viennent de Sean et d'autres viennent d'idées qu'ils ont eu avec Darius. Pour Riz, les tatouages sont également une tentative de garder quelque chose de soi-même quoi qu'il arrive. C'était très important pour eux de montrer que Ruben gardait un sens de lui-même qu'il a créé. Car à la fin du film tout cela a disparu, les tatouages restent, mais lui est en quelque sorte nu. Il ne peut plus se pavaner avec tous ses tatouages, qui selon lui, définissaient Ruben. À la fin, même s'il est habillé, il est plus à nu que jamais. C'est étrange de se rendre compte que la tentative de définir qui tu es échoue. La vie redistribue les cartes et il n'est pas possible d'arriver avec son propre jeu tatoué sur le corps. 

Darius a ajouté qu'il adore cette scène quand Ruben couvre ses tatouages. C'est en fait la première fois qu'on voit le clown qui est tatoué sur son dos.  Dans le film, c'est la seule fois où l'on voit ce tatouage hideux. Dans un sens, c'est aussi un moment où l'on se rend compte qu'il n'a pas besoin de cacher son identité. Riz a ajouté qu'à ce moment l'ancien soit est supprimé.

Merci à Tandem pour l'organisation de cette rencontre.


  
#SoundOfMetal