LE DISCOURS


Comédie/Un film à la réalisation originale et aux acteurs talentueux

Réalisé par Laurent Tirard
Avec Benjamin Lavernhe, Sara Giraudeau, Kyan Khojandi, Julia Piaton, François Morel, Guilaine Londez, Sébastien Chassagne, Sarah Suco... 

Long-métrage Français
Durée : 01h27mn
Année de production : 2020
Distributeur : Le Pacte

Date de sortie sur nos écrans : 9 juin 2021


Résumé : coincé à un repas de famille qui lui donne des envies de meurtre, Adrien attend. Il attend que Sonia réponde à son sms et mette fin à la « pause » qu’elle lui fait subir depuis un mois. Et voilà que Ludo, son futur beau-frère, lui demande de faire un « petit » discours pour le mariage ! Adrien panique. Mais si ce discours était finalement la meilleure chose qui puisse lui arriver ?

Bande-annonce (VF)


Ce que j'en ai pensé LE DISCOURS s'inspire du roman homonyme écrit par Fabrice Caro. Laurent Tirard l'adapte en tant que réalisateur et scénariste pour le grand écran. Le résultat est un film assez drôle et un exercice d'équilibriste réussi. En effet, le personnage principal, Adrien, interprété par Benjamin Lavernhe, n'est pas sympathique. Il est autocentré, égoïste, porte un regard critique sur tous ceux qui l'entoure et n'est pas toujours bienveillant dans ses réflexions. Le danger était donc de mettre les spectateurs face à un protagoniste auquel ils ne se seraient pas attachés. Mais Benjamin Lavernhe joue sur toutes les nuances et fait très bien fonctionner l'humour ainsi que le sarcasme. Grâce à lui, on ne peut pas s'empêcher de s'attacher à Adrien malgré ses défauts. 

L'acteur est entouré de comédiens talentueux : Sara Giraudeau qui interprète Sonia, Kyan Khojandi qui interprète Ludo, Julia Piaton qui interprète Sophie, la sœur d'Adrien, François Morel qui interprète le père d'Adrien et Guilaine Londez qui interprète la mère d'Adrien. Tous ensemble, ils mettent en valeur la mise en scène originale proposée par le réalisateur.



Copyright affiches/photos © Les Films Sur Mesure - Christophe Brachet

Sous la caméra de Laurent Tirard, les pensées d'Adrien prennent le pas sur la vie réelle. La narration brise le quatrième mur, immobilise l'entourage et fait intervenir des souvenirs pour donner un contexte à l'histoire. Dans la première partie, on est emporté dans le tourbillon des constatations du personnage principal qui nous mettent parfois mal à l'aise et d'autres fois nous font rire avec une égale adresse. Dans la seconde partie, quelques longueurs se font sentir, mais les échanges entre les acteurs permettent d'atténuer cette sensation. 

LE DISCOURS nous propose une vision inhabituelle sur une intrigue amoureuse et une chronique familiale par le biais d'une seule optique qui vaut son pesant d'humour (parfois acide). Malgré un peu d'irrégularité, ses acteurs et sa réalisation en font une découverte sympathique.




NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

LAURENT TIRARD - FABCARO

ENTRETIEN CROISÉ

Entretien avec Laurent Tirard, réalisateur, et FabCaro, auteur du roman Le Discours (Éd. Gallimard)

Vous connaissiez-vous avant ce film ?

L.T : Il y a deux/trois ans, j’ai lu Zaï Zaï Zaï Zaï, que j’ai adoré et, grâce à la magie des réseaux sociaux, j’ai pu contacter Fab juste pour lui dire que j’étais fan ! Je savais qu’il habitait dans la région de Montpellier, et un jour que j’étais dans le coin, je lui ai proposé de boire un café. Les droits de Zaï Zaï Zaï Zaï étaient déjà pris et, de toute manière, je n’aurais pas su comment l’adapter. Mais je me disais qu’un jour ou l’autre, nous allions travailler ensemble. Ce jour est arrivé à peine six mois plus tard, et ce n’est même pas Fab qui m’a prévenu qu’il sortait un roman ! Je me suis jeté dessus et j’ai senti qu’une musique s’en dégageait, qu’un film était possible. J’ai appelé Fab pour lui dire que je voulais l’adapter.

F.C : Et je lui ai dit que c’était inadaptable ! Un texte aussi introspectif allait être ennuyeux à l’écran. Tout se passe dans la tête d’Adrien et, en plus, tout tourne autour d’un repas.

L.T : Il m’a dit : « Mais, enfin, ça ne parle de rien ! » Alors que c’est tout le contraire : LE DISCOURS parle de tout.

Qu’est-ce qui vous excitait dans ce projet ?

L.T : Cela faisait un moment que je cherchais à faire un deuxième premier film : un film où je remettais les compteurs à zéro, où j’allais essayer des choses, prendre des risques, et dans une économie raisonnable de production, contrairement à des films « énormes » comme ASTÉRIX ET OBÉLIX : AU SERVICE DE SA MAJESTÉ. D’ailleurs, les gros distributeurs avec lesquels j’ai l’habitude de travailler sont restés perplexes devant le scénario du DISCOURS.

F.B : Tu ne me l’as jamais dit ! C’était sans doute pour ne pas me faire flipper !

L.T : Moi-même je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi difficile. Pourtant, ce n’est pas si loin de mon premier film, justement, MENSONGES ET TRAHISONS ET PLUS SI AFFINITÉS, dont tout le monde vantait l’originalité et me poussait à refaire un film similaire. Tout est finalement allé très vite avec Jean Labadie de Le Pacte qui a eu un véritable coup de cœur et a souhaité soutenir le projet avec beaucoup d’enthousiasme.

Comment s’est déroulée l’adaptation ?

L.T : Le livre n’est pas écrit de façon linéaire : la narration est chaotique puisqu’elle sort de la tête d’Adrien. Je voulais que le film soit pareil. Il fallait donc que je construise un récit tout aussi déstructuré mais qui soit cinématographique et pas littéraire. J’ai d’abord disséqué le roman de manière très méthodique, en résumant chaque moment sur des bristols. Puis j’ai mélangé les bristols en obéissant à mon instinct, en commençant, par exemple, par une anecdote qui est au milieu du bouquin, en sacrifiant aussi des moments que, pourtant, j’aimais… Généralement, je mets entre six et huit mois pour écrire un scénario, mais, cette fois, une fois mon puzzle de bristols composé sur mon mur, je l’ai écrit en deux mois seulement.

F.C : Nous parlions de l’adaptation régulièrement, même si nous étions d’accord, dès le début, pour que je lâche mon bébé. Non seulement je faisais une totale confiance à Laurent, mais j’aime aussi l’idée de ne plus revenir sur une œuvre, et de m’en remettre à la vision d’un autre. Au début, j’avoue que cela me paraissait abstrait, puis, à la lecture du scénario, j’ai visualisé tous les liens qu’il avait fait entre les scènes. J’étais impressionné. Il a su, par exemple, rendre certaines de mes références dans le roman nettement plus accessible à un large public. Dans le livre, lors d’une soirée costumée, Sonia, la fiancée d’Adrien, prétend être déguisée en chanteuse d’un groupe que personne ne connait à part moi. Chez Laurent, elle est déguisée en Barbara et cela fonctionne mieux. Je retrouvais mon texte mais j’adorais ses modifications, et ses idées de mise en scène comme ce pion du jeu Puissance 4 qui roule pour représenter l’enfance qui s’enfuie… Il y a une trouvaille de mise en scène dont j’ai été carrément jaloux en découvrant le film : les interprètes des Nations Unies qui, chacun, dans leur bocal, traduisent les échanges de la famille pendant le dîner.

L.T : Mais c’est dans le roman ! Une micro-phrase d’Adrien que, moi, j’ai tout de suite visualisée : le salon des parents avec des cabines de traducteurs de chaque côté. L’exercice était réjouissant : prendre une petite phrase qui a l’air anodine et la transposer littéralement en allant au bout du délire.

F.C : Sur le papier, j’aime aller loin, mais Laurent, lui, l’a fait visuellement. Quand je découvre certaines saynètes à l’écran, j’ai l’impression qu’elles sortent vraiment de ma tête.

L.T : Quand j’écris le film sur Molière, je lis tout Molière pour m’imprégner. Quand j’adapte LE PETIT NICOLAS, je me plonge pendant des mois dans les livres pour que l’esprit Sempé-Goscinny devienne une seconde nature. Et j’ai fait de même avec Fab : j’ai absolument tout lu pour me nourrir de son esprit, et de son écriture finalement très cinématographique.

Certains personnages sont-ils plus développés que dans le roman ?

F.C : À la lecture du scénario, en tous les cas, je les ai trouvés plus « incarnés » : il faut dire que le casting était déjà choisi et, ainsi, je pouvais mettre des visages sur le texte. Mais c’est vrai que Sophie, par exemple, est plutôt fadasse dans mon roman ! Elle n’est pas émouvante. C’est juste la sœur du héros. Laurent lui a donné une autre dimension, ainsi, évidemment, que le jeu de Julia Piaton. Quand j’ai vu le film, lors de la scène où Sophie se sent humiliée, j’ai même eu les larmes aux yeux.

L.T : C’est une constante dans mes films : je veux qu’on aime tous les personnages, qu’ils soient principaux ou secondaires. À la lecture du roman, je repérais, à chaque fois, de petites phrases - comme, justement, quand Adrien parle de son enfance avec sa sœur - dont j’étais certain qu’elles parleraient à tout un chacun, et rendraient les personnages attachants. J’ai juste tiré ces petits fils de tendresse, présents, en germes, dans le livre.

F.C : Dans le roman, l’amour d’Adrien pour sa famille est plus implicite, c’est vrai. Laurent est moins pudique que moi, en fait.

Comment avez-vous choisi ce casting ?

L.T : Avant tout, je devais trouver Adrien. C’était le plus compliqué, car certains lecteurs du roman, surtout des femmes, le trouvaient un peu agaçant. Trop ado attardé, trop égocentrique, et qui mériterait un coup de pied au cul !

F.C : Moi aussi, on m’a dit ça !

L.T : Il fallait donc que je fasse attention à cela à l’écriture mais, surtout, trouver, pour l’incarner, un acteur qui dégage un énorme potentiel de sympathie. De plus, ce rôle demandait une prestation magistrale : quasiment de tous les plans du film, il passe de monologues face caméra à dialogues réels et à voix off… Donc il fallait un acteur d’une trentaine d’années capable de faire ça ! J’avais adoré Benjamin Lavernhe dans LE SENS DE LA FÊTE d’Olivier Nakache et Eric Tolédano, je suis allé le voir jouer à la Comédie-Française, et je l’ai vu aussi dans « Un Entretien », le programme court de Canal +. Pour moi, c’était évident que c’était lui. Tellement évident que je n’imaginais plus le film sans lui. J’ai donc fait une chose qui ne se fait jamais : j’ai été le voir avec un scénario pas terminé. S’il aimait le ton, je le bloquais d’ores et déjà pour les dates de tournage !

Et il a accepté ce rôle en or…

L.T : Et ce défi fou et difficile. Ensemble, nous avons énormément réfléchi à la notion de distance avec le spectateur dans toutes les séquences en face caméra. Il fallait trouver la juste distance pour établir la complicité avec le spectateur. Nous avons fait beaucoup de lectures, pour trouver le ton juste, comme d’ailleurs, avec les autres comédiens.

Les autres comédiens, justement…

L.T : Ils ont tous répondu oui dans les 24h ! François Morel, en père d’Adrien, était une autre évidence. Guilaine Londez a un nom peu connu du grand public mais tout le monde reconnait immédiatement son visage. Pour moi, elle incarnait cette mère idéale à la fois un peu agaçante et pleine d’amour et d’humanité. Je ne sais pas qui j’aurais pris si cela n’avait pas été elle… Avec Julia Piaton et Kyan Khojandi, qui arrivent d’autres univers de cinéma et de comique, cette « famille » formait une parfaite dynamique. Et puis il y a Sara Giraudeau, avec son charme si singulier, et cette voix venue d’ailleurs. À la première lecture, elle m’a complètement surpris : lors de la scène où Sonia, son personnage, annonce à Adrien qu’elle veut faire une pause, j’imaginais qu’elle devait être cassante. Mais elle l’a joué avec une petite voix presque plaintive : c’était tellement inattendu et génial ! Cela faisait longtemps que je voulais travailler avec elle.

Quelle a été la direction d’acteurs ?

L.T : J’avais une idée précise de la tonalité du film, mais je sais, aussi, par expérience, qu’on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise quand on laisse les comédiens proposer. C’est ainsi que la vie entre dans le film. Donc, je commençais toujours par les laisser proposer ce qu’ils avaient en tête, je gardais ou pas, je recadrais légèrement, etc. C’est dommage d’être trop directif quand on veut qu’un film soit émouvant. Le plus difficile, évidemment, était toutes ces séquences où ils sont à table, et surtout, ces moments où ils sont en pleine conversation quand, soudain, Benjamin se tourne pour parler face caméra. Je ne voulais pas refaire ces prises en post-synchro, car ce procédé sonne toujours un peu faux. Donc, nous avons fait des essais avec des perchmans autour de la table pour voir jusqu’à quel point les quatre acteurs pouvaient continuer leur conversation en baissant le ton pendant que Benjamin, lui, parlait à la caméra. Et c’est fou comme ils ont chopé le truc ! Ils étaient capables de détimbrer légèrement leur voix en un clin d’œil. La première à avoir saisi le truc a été Guilaine : elle baissait la voix et la remontait avec un naturel incroyable. L’ingénieur du son n’a pratiquement rien eu à corriger : les comédiens ont fait tout le boulot. Quasiment aucune post-synchro.

F.C : C’est fou que cela ait marché ainsi, en prise directe !

Donc aucun trucage ? Même quand ils s’immobilisent ?

L.T : Il n’y a pas d’arrêt sur image. De toute manière, un arrêt sur image, c’est moche, et il fallait qu’on les sente vivre. Là encore, ils l’ont fait en vrai. Nous avons tourné une journée entière et ils ont refait la prise dix-huit fois ! Chapeau. Moi-même je n’étais pas sûr que ce soit possible. J’avoue tout de même que la technologie numérique a du bon : j’ai juste effacé quelques clignements d’œil…

F.C : Pour ma part, je suis allé sur le tournage le jour où Benjamin devait faire le discours réussi où il fait le beau, il jongle… Il a dû refaire la scène une quinzaine de fois et, à chaque fois, il était parfait, avec de petites variantes. Un virtuose. C’est donc ça, être acteur...

Comment faire pour que le film ne soit pas statique ?

L.T : Y penser constamment ! Dès l’écriture. Et puis, au tournage, cela marchait par couches : par des discussions avec les acteurs qui proposaient des choses. Kyan, par exemple, avait toujours des idées à me soumettre. Et dans mon travail avec le chef opérateur, qui, par exemple, a trouvé l’idée du mur des toilettes qui tombe et ouvre sur le bureau de l’astrologue.

F.C : Ah oui, j’aime beaucoup cette trouvaille de mise en scène… L’avantage de la B.D est qu’on peut tout faire avec un crayon. Laurent s’est donné cette même liberté… au cinéma.

L.T : C’est un travail collectif. Tout le monde était tellement excité par le scénario que l’émulation était naturelle. Mon boulot consistait à accepter des propositions et d’en refuser d’autres, en gardant mon cap… En tous les cas, toujours essayer d’être original, avec trois grandes influences : ANNIE HALL pour sa liberté narrative incroyable, ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND pour son inventivité visuelle et sa poésie, et UN AIR DE FAMILLE, un « classique » sur les rapports familiaux. Les effets spéciaux m’ennuient et je préfère la poésie de Gondry qui bricole des trucages « en vrai ». Le mur des toilettes qui tombe, pour moi, c’est vraiment du cinéma ! Nous tournions avec plusieurs caméras, dans différents angles pour pouvoir, ensuite, choisir au montage la forme la plus vivante, la moins lassante pour le spectateur. Et puis, même s’il se passe en partie à table, LE DISCOURS a tout de même une trentaine de décors, au gré des flashbacks et des projections mentales d’Adrien.

Finalement, LE DISCOURS est un film sur quoi ?

F.C : Dans mon roman, je voulais parler, d’abord, du chagrin d’amour. Pour le rapport à la famille, je suis allé piocher pas mal de détails dans la mienne. Ma mère s’est d’ailleurs tant reconnue qu’il a fallu que je lui répète bien que c’était une fiction ! Elle n’a pas de porte serviette en forme de bite-sapin dans sa cuisine mais le porte serviette existe vraiment chez quelqu’un que je connais. Ma sœur ne m’offrait pas des encyclopédies, mais ma mère, elle, m’achetait des Lucky Luke quand j’étais enfant et elle a continué, chaque année, jusqu’à mes… trente ans. En fait, j’avais l’impression d’avoir raconté des détails très intimes et puis, il s’avère qu’ils sont universels : nous avons tous le même rapport névrosé à notre famille. Cette même pudeur, aussi, qui pousse à échanger sur des banalités au lieu de se dire tout simplement qu’on s’aime. Je ne m’attendais pas à être aussi ému devant le film de Laurent. C’est un pari formel, une comédieovni, mais qui, je pense, va toucher beaucoup de gens, bien au-delà de la niche de mes lecteurs. J’ai vraiment bien fait de lâcher mon bébé !

L.T : LE DISCOURS est un film sur… moi ! (rires) Demandez à mes proches comment je me comporte dans les repas de famille : je suis dans mon monde, en retrait et ma tête est pleine de pensées. Je suis heureux d’avoir traité du thème du chagrin d’amour qui, au cinéma, est rarement abordé du côté masculin. Nous aussi les hommes, nous pouvons nous mettre dans des états pas possibles quand on attend un texto d’une femme qu’on aime. Et puis, bien sûr, il y a la famille avec tous ses non-dits, ses maladresses. LE DISCOURS parle de notre relation aux autres. Donc il parle de la vie, non ?

ENTRETIEN AVEC BENJAMIN LAVERNHE

Vous étiez familier de l’univers de FabCaro ?

Pas tant que ça. J’avais lu son best-seller, Zaï Zaï Zaï Zaï, avec son humour complètement barré, décalé, mais surtout nouveau dans l’absurde. J’ai d’abord lu la moitié du scénario de Laurent – il m’a contacté alors que celui-ci n’était pas terminé. Il m’avait vu dans MON INCONNUE et LE SENS DE LA FÊTE et voulait vraiment travailler avec moi : c’était flatteur ! C’est en lisant la deuxième partie que j’ai été complètement convaincu : le mélange de poésie, d’humour, et de… « cerveau malade » de mon personnage me touchait beaucoup. Mais aussi la mélancolie profonde qui m’a envahi en finissant le scénario. Ça m’a vraiment décidé, en réalité, cette émotion des dernières pages qui transpire aussi dans le film ! C’était un vrai défi de mise en scène pour Laurent, et pour moi, un défi de jeu, avec ce face caméra entre autres, cette narration inédite qui allait m’obliger à prendre en charge le récit comme jamais.

Il y avait beaucoup d’émotions à jouer…

La tendresse, l’ironie, le désespoir, la colère, l’affliction, la joie immense, la résignation, etc. La liste est encore longue : une sorte de « rôle total » qui permet de jouer un condensé de toutes les émotions humaines finalement… Et puis aussi ce mélange de réalisme dans le jeu, opposé aux scènes de fantasme plus absurdes et burlesques, tout ça avec la langue de FabCaro si bien rendue par Laurent. J’ai lu le roman quelques semaines après le scénario, et je n’ai pas pu m’empêcher de faire une liste de détails et d’anecdotes qui me plaisaient particulièrement dans le livre pour la soumettre à Laurent avant que le scénario ne soit gravé dans le marbre. J’avais besoin de lui dire que certains oublis, sûrement volontaires de sa part bien sûr, étaient un crève-cœur pour moi ! Il y était sensible et souvent d’accord d’ailleurs, mais il avait un film à faire et devait trancher ; ce n’est pas rien d’adapter un roman, surtout celui-là d’ailleurs, il faut faire des sacrifices de scènes entre autres. Mais par exemple, pour l’arbre à vœux et le moment du « Je voudrais que Solène se laisse enculé » (sic) qui me faisait hurler de rire, je n’ai pas eu à négocier, car Laurent l’avait gardé ! Son procédé de narration devait tenir la route sans lasser, sur une heure et demie, c’était notre défi !

Comment avez-vous trouvé la bonne distance pour le « face caméra » ?

Nous nous y sommes pris en avance en essayant différentes adresses à la caméra. Laurent était très vigilant sur le bon ton. Ne pas forcer même si la caméra est loin, ne pas chercher à l’atteindre. Puis savoir la quitter en une seconde pour revenir dans la réalité du dîner. Que ça soit totalement naturel en fait, fluide, un non-événement… La caméra était un partenaire de jeu à intégrer. J’avais parfois envie de dire à la caméra : « Casse-toi, je veux jouer avec mes camarades » ! Une drôle de sensation. De plus, parler à la caméra accentue le trac car cela donne une conscience aiguë de ce que l’on est en train de jouer comme devant un miroir. On y pense, on y pense, et on se plante, comme un pianiste qui ne doit pas trop penser à ses doigts virtuoses sur le clavier, mais juste les laisser faire, s’il réfléchit trop c’est foutu… La moindre de mes humeurs comptait : si j’étais trop mélancolique, trop récitatif, ou trop théâtral, Laurent m’aidait énormément : « Plus quotidien, moins formel, pas de commentaires avec tes sourcils ! ». Pour ce qui était de la voix-off à venir et toutes les scènes muettes à tourner, je devais aussi anticiper dans l’expression de mon visage, faire attention à ne pas être dans le pléonasme avec ce qu’Adrien pense. Par exemple garder une neutralité des traits ou un grand sourire alors qu’Adrien pense des horreurs.

Combien de temps a duré le tournage du repas lui-même ?

Quinze jours à table à bouffer du gigot d’agneau et de la tarte poire chocolat ! Quinze jours pour apprivoiser cette grammaire particulière de jeu, cette gymnastique. Heureusement, nous nous sommes vraiment aimés dans cette « famille » : ils me soutenaient, comprenaient mon besoin d’hyper concentration, alors qu’ils avaient besoin de faire des blagues pour relâcher la tension, surtout entre deux prises où ils sont immobiles, ils ont été si généreux pendant les contrechamps, il leur fallait une grande patience parfois et ils m’ont été d’une grande aide. De merveilleux camarades. Julia, Guilaine, François, Kyan : chacun avait une telle intelligence de jeu, toujours au service de la situation, jamais tirer la couverture, c’est fort ! Nous n’avons pas les mêmes parcours dans le métier, mais l’admiration était réciproque, partagée. Dans les scènes en dehors du repas, Sara est idéale dans le rôle de Sonia : son charme, son étrangeté piquante expliquent à quel point Adrien est fou d’elle. C’était important d’être en empathie avec Adrien, comprendre à quel point c’est dur de ne pas avoir de nouvelles d’elle. Qu’on ait envie qu’ils se retrouvent.

Il y a, aussi, les séquences des discours, plus proche du… seul en scène, et dans une toute autre énergie.

Le plan de travail a aidé. Après les quinze jours de tournage à table, nous avions quatre jours de tournage des discours. Là, il fallait se sentir libre avec le texte, et je m’adressais à des gens dans la salle de mariage, c’était concret, ça aide ! C’était comme si j’étais sur une scène devant un public et j’avais le droit me lâcher à la différence des scènes à table qui étaient très « cadrées ». Laurent m’a mis à contribution en me laissant improviser dans le burlesque : que ce soit dans le discours raté ou réussi, j’ai apporté les idées de la pirouette, des tours de magie foireux, des jeux à gratter, des bonbecs pour les enfants… J’ai mis tout ce que j’avais en magasin, comme le jonglage par exemple, il fallait bien que ça me serve un jour !

Alors, qui est Adrien ?

Son angoisse me touche. Cette pensée épuisante qui ne s’arrête jamais, cette névrose en boucle qui crée de l’enjeu et de la comédie. ARMAGEDDON est l’histoire d’un mec qui sauve la terre. Là, c’est un mec qui attend un texto. Et tout est matière à des scènes savoureuses, que ça soit l’analyse obsessionnelle du texto reçu ou la stratégie minutieuse d’un futur texto à envoyer. Vous l’aurez compris, comme partenaire supplémentaire, j’avais aussi un téléphone. Surtout à table et aux toilettes ! Aussi, il y a son incapacité à dire « non » alors qu’il préfèrerait mourir plutôt que de faire ce discours. S’ajoute à ça son rapport à la famille avec, en particulier, ce fantasme de pouvoir tout leur dire frontalement, alors qu’en général c’est le règne de l’auto-censure. Si on ouvrait en deux le cerveau de n’importe qui, pendant un repas de famille, on y découvrirait de drôles de pensées et tous les affres possibles. Avec FabCaro, la moindre situation banale est captée avec une telle justesse qu’on ne cesse de penser : « Mais oui, c’est tellement ça ! ». Pour résumer, c’est vrai qu’il est agaçant, Adrien : névrosé, hypocondriaque, sans cesse dans la plainte. On peut comprendre que Sonia se barre ! Mais Laurent l’a, je pense, rendu plus attachant que dans le roman. Il incarne le deuil de l’enfance. En fait, c’est avant tout un nostalgique, un rêveur et un grand romantique.

Vous êtes-vous aimé en vous découvrant dans le film ?

Au premier visionnage, ce sont toujours les souvenirs de tournage qui remontent, et on ne regarde pas le film comme un spectateur lambda. Et puis ma tête en gros plan : mon dieu, je ressemble à mon père ! Mais en l’ayant revu avec du public, je suis fier que le film fonctionne à ce point, et que les gens aient autant l’air de l’aimer, cet Adrien, malgré tous ses défauts. Ce film est un vrai objet poétique, à la fois une comédie d’auteur à part et un film grand public.

GUILAINE LONDEZ

« Je connaissais les B.D de FabCaro mais j’avoue que je trouvais son regard sur le monde un peu dur. En revanche, j’ai adoré son roman pour sa mélancolie et sa sensibilité. Le scénario que Laurent Tirard en a tiré m’a impressionnée : non seulement je retrouvais l’esprit du roman, mais il laissait la place pour une mise en scène créative, entre formalisme et très grande liberté. Sa direction d’acteurs, aussi, était un mélange de précision et de confiance absolue dans ce que nous pouvions lui proposer. C’était tellement bien écrit : il n’y avait qu’à se laisser happer par la vérité des situations. De plus, j’ai rarement eu une telle complicité avec les autres comédiens sur un tournage : chacun à sa place, avec sa typologie de personnage, et dans une écoute joyeuse de l’autre, une fluidité de jeu folle, guidée par Laurent et sa douce exigence. Nous devions avoir une très grande concentration, mais Laurent nous laissait des plages de fous rires. Cela nous permettait de relâcher un peu la pression entre deux scènes où nous devions rester totalement immobiles pendant les monologues de Benjamin. Ce comédien est incroyable : il était le capitaine ! Il donnait le rythme et nous n’avions plus qu’à suivre. Je suis fière d’incarner sa mère. Ce personnage me touche beaucoup : cette femme est un monstre de sensibilité mais elle est incapable de l’exprimer. Elle me fait penser à ma propre mère : de ces femmes d’une ancienne génération, très pudiques, qui préfèrent rester dans le déni pour avancer sans se poser de questions. J’ai voulu la jouer ainsi : simple, discrète, mais gorgée d’amour. Ce trop-plein émotionnel qu’elle ne sait pas verbaliser, elle l’évacue, soudain, dans ce long fou rire lors de l’anecdote que raconte son mari. Laurent m’a permis de prolonger ce fou rire jusqu’au point où il met presque mal à l’aise. Je jouais au théâtre le soir, je devais me lever à 5h du matin pour rejoindre le plateau, mais je le faisais avec une gourmandise totale car j’avais hâte de retrouver ma « famille ». Nous connaissons tous ces dîners plombés par les non-dits, et ces petits détails parents-enfants universels : moi-même quand j’étais petite, j’ai fait un cadeau un peu loupé à ma mère : un collier tressé trop petit pour son tour de tête. Elle n’a jamais pu le passer, mais, elle l’a gardé, toutes ces années, suspendu sur le coin d’un miroir… »

FRANÇOIS MOREL

« J’adore Zaï Zaï Zaï Zaï, et toutes les autres B.D de FabCaro. J’ai lu le roman dès sa sortie en me disant qu’il était… totalement inadaptable ! Pourtant, Laurent a su rester fidèle au bouquin tout en faisant vraiment du cinéma. Pour moi, il a réussi à la fois une comédie populaire sur des sujets - la famille, les rapports amoureux - qui nous concernent tous, et un film d’auteur extrêmement inventif. C’est génial quand il ajoute des traducteurs comme à l’ONU pour montrer l’incommunicabilité au cours du dîner ! Mon personnage, le père d’Adrien, raconte toujours la même anecdote car il sent, peut-être, qu’il n’a pas grandchose à dire. J’en connais beaucoup des mecs comme ça ! Mais c’est un brave type, avec un beau regard sur sa femme et ses enfants, et pour lui, ce dîner est très agréable : il passe un bon moment avec les gens qu’il aime. Pour l’anecdote sans fin de l’autostoppeur, Laurent m’a laissé écrire mon texte, la veille, avec ses digressions absurdes. Je m’inquiétais un peu, tout de même, avant le tournage : rester quinze jours assis à table avec d’autres comédiens, cela pouvait être l’enfer. Mais j’ai tout de suite compris que j’étais entouré de partenaires aussi talentueux que sympathiques ! On ne nous voit pas bouger quand il y a les moments d’ « arrêt sur image » : on est vachement bons, hein ? »

JULIA PIATON

« L’humour de FabCaro est tellement actuel ! Cinglant, mais on se reconnait tous dedans ! J’ai lu le roman avant le scénario. Le roman était touchant, et Laurent a réussi à en garder la mélancolie. Cette comédie n’est pas toujours très joyeuse sur les rapports humains, mais cela se finit bien, heureusement. Cette sacrée communication difficile entre les êtres humains ! À la lecture du roman, on sent la solitude d’Adrien : on espère tant qu’il va retrouver Sonia. Et puis il y a cette famille : quand elle est incarnée par François Morel et Guilaine Londez, elle prend vie avec une telle vérité, et ce petit fond de tristesse. Sophie, mon personnage, et surtout le couple qu’elle forme avec son fiancé, existent plus dans le scénario de Laurent. Il y a plus d’interactions avec le beau-frère, et le tandem avec Kyan était intéressant et drôle à construire. Un monstre à deux têtes ! Les deux boulets à table. Ils sont tellement coincés. Ils ne peuvent pas « dire » : dans un premier temps, ils ne sont pas très sympathiques, mais, derrière le vitriol du trait de FabCaro, il y a énormément de tendresse sous-jacente. Sophie est assez détestable sur le papier mais, comme souvent, c’est, en fait, un personnage malheureux. C’est une fille qui s’est crispée comme le montre la scène de « pâte mal tourée » : une control freak qui ne rêve que d’avoir de vrais rapports avec les gens qu’elle aime. Elle place son estime d’elle-même dans les détails et a besoin d’être reconnue dans ce petit quotidien où elle fait le maximum pour être une fille bien. Mais plus elle se tait, plus les émotions montent. Je l’ai jouée comme un lion en cage. Dans cette famille, ils parlent tous une autre langue : « Génial, tu as fait une tarte » doit se traduire par « Comme je suis content de te voir ! ». Les banalités énoncées sont un langage codé car ils ne savent pas faire autrement. Nous faisons tous cela dans la vie, et particulièrement dans nos familles. Autour de Benjamin, nous étions tous beaucoup en réaction à sa musique, sans déranger ses rendez-vous avec la caméra. Nous étions quatre + un. Nous devions chacun être dans notre partition, mais en écoutant très attentivement les autres, et être sans cesse sur le qui-vive. C’était compliqué ! Il y avait des contraintes de niveaux de voix, des subtilités folles, mais toujours sur le même décor. C’était un peu UN JOUR SANS FIN : tu recommences ton entrée puis tu passes au gigot que tu as déjà mangé la veille à huit heures du matin ! Le défi était passionnant : retrouver la même énergie avec les mêmes éléments tous les jours. Et en oubliant la complicité folle qui se nouait entre nous, jour après jour. C’était un tournage les yeux dans les yeux, particulièrement fort en intimité. »

KYAN KHOJANDI 

« J’ai lu tout FabCaro et, pour moi, ses œuvres étaient inadaptables ! Mais, à la lecture du scénario, très émouvant, de Laurent, j’ai tout de suite perçu qu’il revenait à ses premières amours, à MENSONGES ET TRAHISONS ET PLUS SI AFFINITÉS… Cela me rappelait aussi BREF, donc je n’étais pas dépaysé. J’adore les projets singuliers : pour moi, le cinéma est excitant quand il tente des choses jamais faites. Laurent arrive à filmer une tarte poire-chocolat et que cela ait un intérêt ! Mais je l’avoue : je ne peux plus voir une tarte poire-chocolat dans une vitrine de pâtisserie sans avoir la nausée ! Je suis honoré d’avoir travaillé avec ces acteurs-là, si drôles, de bonne composition, et si talentueux. François Morel est un de mes darons : j’ai grandi avec l’humour des Deschiens. La plus belle direction d’acteurs de Laurent ? Avoir choisi ce casting. Nous laissions Benjamin dans sa bulle, en restant sans cesse ses supporters. J’ai fait quelques propositions comme celle, durant le mariage, après le discours réussi, où Benjamin se jette sur moi pour m’embrasser. Un vrai climax ! Il y a un peu de moi dans Ludo : « Je sais des trucs et je vais vous les dire ». Je sors même des données scientifiques dans les domaines qui me tiennent à cœur comme le sport. Je sais que c’est agaçant et je me retiens en société mais, là, j’avais le droit d’exploiter cette facette de ma personnalité ! Laurent me laissait improviser : vas-y, parle pendant dix minutes ! Et je devais continuer à parler pendant que Benjamin, lui, s’adressait à la caméra. Un mix en temps réel. Je montais et baissais le son. Un beau challenge. Il ne faut jamais juger ses personnages, les mépriser : pour les servir, il faut les aimer. Sophie et Ludo vivent un véritable amour, même s’il est très posé, un peu popote. C’est la vie simple. Moi, par exemple, j’adore la chenille ! J’en ai lancé une, un soir, au festival de Cannes et tout le monde était ravi ! »

SARA GIRAUDEAU

« N’étant pas, par définition, dans les séquences de dîner, j’ai été privée de gigot ! Mais mon personnage apparaît dans beaucoup de situations, de lieux et d’émotions différentes : mon tournage était donc très… désarticulé. Mais très agréable ! Il fallait que Sonia soit assez attractive, assez charmante, pour qu’elle puisse apparaître vraiment comme l’enjeu d’Adrien alors qu’elle apparaît peu à l’image. La base de toute la remise en question d’Adrien, c’est Sonia et l’attente de ce texto : si l’intérêt du spectateur pour Sonia était moyen, le film ne tenait pas. Il fallait que le spectateur s’attache à elle comme Adrien lui est attaché, et ce n’était pas si simple puisque, dans le film, il y a plus de séquences où cela se dégrade entre Sonia et Adrien que de moments amoureux. Avec Benjamin Lavernhe, nous ne cessions de demander à Laurent Tirard : écris-nous deux ou trois scènes de plus où ils s’aiment ! Mais, en découvrant le film, j’ai bien vu que Laurent avait parfaitement dosé : même dans les mauvais souvenirs, on sent leur amour. C’est une romantique moderne : douce mais indépendante, et sa vie ne s’écroule pas en quittant Adrien. À l’écran, il arrive que certains couples ne soient pas crédibles : je pense que le nôtre l’est, car, avec Benjamin, cela a fonctionné immédiatement, très naturellement, dans le jeu. Une véritable idylle ! Je riais tellement lors de certaines prises : heureusement, l’amorce de la caméra était sur Benjamin et j’avais le temps de me calmer quand la caméra arrivait sur moi. LE DISCOURS a la poésie singulière d’un premier film avec la qualité d’une grande comédie populaire. »


Source et copyright des textes des notes de production © Le Pacte 

  
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