
Du 2 au 13 septembre 2025
Forum des Images de Paris
La 31ème édition de l'Étrange Festival s'est terminée le 13 septembre 2025 après avoir fait battre le cœur des festivaliers pendant 11 jours au rythme des projections de films de genre.
La programmation proposait une grande variété d'œuvres qui avaient le mérite d'être des découvertes souvent originales, parfois clivantes et qui, dans tous les cas, faisaient parler dans les couloirs du festival.
Bande annonce du festival
Le palmarès du festival
Le court-métrage PLAYING GOD, réalisé par Matteo Burani, a une grande maîtrise technique et narrative. Il déploie l'horreur de son propos avec force. Il mérite grandement son prix.
Au-délà de tous les longs et courts métrages qu'il a été possible de découvrir lors de ce festival, il y avait deux excellents documentaires à ne pas manquer :
- Theatre of Horrors: The Sordid Story of Paris' Grand Guignol de David Gregory
- Butthole Surfers: The Hole Truth and Nothing Butt de Tom Stern
Focus sur le réalisateur Adilkhan Yerzhanov
Cette édition a été marquée par la présence du réalisateur et scénariste kazakh Adilkhan Yerzhanov. Disponible et d'une grande gentillesse, Adilkhan Yerzhanov est un prolifique réalisateur, avec une vraie patte et beaucoup de talent, et qui, malgré tout, reste d'une grande humilité. Il est venu accompagné de l'actrice Anna Starchenko. Elle joue notamment dans STEPPENWOLF ainsi que dans MOOR et KAZAKH SCARY TALES qui étaient tous deux projetés à l'Étrange Festival.
Le réalisateur Adilkhan Yerzhanov et l'actrice Anna Starchenko
Copyright photos © Epixod
Pendant cette édition, il est venu présenter trois œuvres :
- CADET, un film d'horreur.
- MOOR, un film fantastique à l'histoire touchante qui aborde notamment le thème du traumatisme. Visuellement, l'insertion des éléments fantastiques est réussie et l'ambiance est magnifiée par un travail sur l'ombre et la lumière.
- KAZAKH SCARY TALES qui est un nouveau format pour le réalisateur puisqu'il s'agit d'une série. On a pu découvrir les 3 premiers épisodes qui forment un arc narratif complet qui ouvre un suspens donnant très envie de voir les 3 épisodes suivants. On y retrouve les éléments clefs du cinéma d'Adilkhan Yerzhanov : la steppe, les personnages féminins forts, l'humour décalé, la dénonciation de la corruption. Entre horreur et fantaisie, il nous propose une découverte du folklore Kazakh avec une belle ambition en ce qui concerne les effets spéciaux. Encore une fois, sa série a une personnalité marquée par son approche narrative et visuelle. Il faut croiser les doigts pour que KAZAKH SCARY TALES soit diffusée sur une plateforme en France.
Il était possible de rencontrer Adilkhan Yerzhanov en interview. L'opportunité était trop belle et, avec Isabelle Arnaud, du site Unification France, nous lui avons posé une série de questions en présence de la traductrice Eugénie Zvonkine.
Depuis l'année dernière, vous avez pris un tournant dans le genre que vous utilisez. Même si on retrouvait certains éléments horrifiques précédemment, notamment au niveau de l'atmosphère, qui étaient déjà présents dans THE PLAGUE AT THE KARATAS VILLAGE. Pourquoi cette envie de vous plonger dans l'horreur ?
Vous avez raison, en fait je pense que j'ai toujours cherché une forme qui me permet d'entrer en contact avec le spectateur. Bien sûr, on a envie d'être original et de raconter son histoire avec son style mais je pense qu'il est nécessaire de pouvoir toucher le spectateur et, que pour le faire, j'ai longtemps réfléchi mais je me suis dit qu'il fallait une forme plus narrative et que le genre permettait cela. Donc oui, vous avez raison, il y a THE PLAGUE AT THE KARATAS VILLAGE et CADET, et dans chacun il y a une dose de genre qui m'a semblé nécessaire. Cette dose peut-être qu'elle augmente parce que j'ai envie que les films soient vus par plus de spectateurs. Peut-être que le moment de bascule c'est A DARK, DARK MAN, c'est à ce moment où pour moi j'ai passé le seuil du cinéma de genre.
Dans vos trois dernières œuvres (CADET, MOOR et KAZAKH SCARY TALES), vous utilisez aussi bien les fantômes qui hantent les personnages ou les lieux que les monstres issus du folklore. Toutefois, si la violence psychologique est bien présente et qu'il y a des morts, elles sont curieusement moins violentes physiquement que vos précédents longs métrages. Est-ce un choix délibéré de votre part ?
Quand je montre de la violence dans mes films j'ai toujours tenu à ce qu'elle ne soit pas romantisée, qu'elle se soit une violence sans esthétisation. Dans STEPPENWOLF, on voit bien que c'est une violence qui est très crue, qui n'est pas du tout esthétisée. Je pense qu'avec ce qu'on vit en ce moment dans le monde, avec toute la violence qui se déploie, ce serait criminel de l'enjoliver. STEPPENWOLF est un western et quand il y a de la violence, elle est naturaliste. C'est vrai que dans les derniers films, j'ai plutôt évité la démonstration directe, parce que si je peux l'éviter, je préfère plutôt que de la monter. En revanche, si je dois la montrer, je le ferai toujours de façon très crue.
En regardant MOOR, j'ai eu l'impression que cela ressemblait un peu à une revisitation des Misérables de Victor Hugo. Ai-je raison dans mon interprétation ?
J'aime beaucoup Victor Hugo et depuis tout jeune. Je ne pense pas que je me suis formulé qu'il y avait une influence, mais il est très possible qu'elle se soit déposée quelque part dans mon cerveau et que cela ait joué à un niveau inconscient. En tout cas, je suis très sensible au regard que Victor Hugo porte sur la société et en particulier justement sur les classes les plus défavorisées, ces fameux misérables. Je m'identifie à cette classe sociale, je considère que j'en fait partie moi-même. Et c'est vrai que, dans tous mes films, les personnages ne sont jamais en haut de l'échelle sociale, ils sont toujours tous tout en bas de l'échelle sociale, donc, oui, c'est avec eux que je me sens ma place, c'est eux qui m'intéressent pour mes histoires. Ce sont des gens qui sont au bord de la société, qui sont des marginaux, mais qui tentent de préserver leur dignité malgré tout.
J'ai entendu une autrice belge, Amélie Nothomb, dire que son secret pour garder l'inspiration est que, dès qu'elle termine un livre, elle commence immédiatement le suivant. Je sais que vous êtes un bourreau de travail. Partagez-vous la même philosophie qu'elle concernant la réalisation de films ?
Alors déjà, d'un point de vue pratique, j'ai toujours travaillé sur plusieurs projets en parallèle, parce que il y a toujours le projet à venir dans un futur un peu plus lointain et que je suis déjà en train de concevoir, et il y a celui pour lequel j'ai réussi à trouver des financements et que je suis en train de préparer parce que je vais le faire. Le cinéma que je fais est à mi-chemin entre art et essai et mainstream, ce n'est pas du tout facile de trouver du financement pour des films comme ça, donc je suis un peu obligé de tout anticiper. Ça c'est le côté pratique de la chose et maintenant du point de vue artistique, faire du cinéma c'est toute ma vie. Écrire des scénarios, tourner, monter, post-produire, c'est le contenu de ma vie. Si je ne fais pas ça j'ai l'impression que ma vie passe en vain et donc il se crée un vide en moi et ce vide je ne peux le combler qu'en faisant des films. Il n'y a que ça pour moi dans la vie.
Tous vos acteurs sont vraiment formidables. Comment est-ce que vous les trouvez ? Et comment travaillez-vous avec eux pour qu'ils soient aussi marquants dans vos films ?
Je me demande toujours si c'est moi qui les trouve ou si c'est eux qui me trouvent en fait, parce que quand il y a quelqu'un qui a vraiment du talent qui a une vraie puissance d'acteur ça se voit tout de suite. Parfois dans une interview ou parfois même dans une rencontre on se dit 'ça c'est vraiment quelqu'un d'incroyable' et je sais qu'il pourra m'être utile, je sais que je pourrais l'utiliser dans mon film. Souvent d'ailleurs, je ne sais exactement dans quel rôle, mais je retiens la personne, et puis ensuite quand je travaille sur le scénario, que je suis en train de l'élaborer, je me dis qu'à cet endroit-là, il me manque une petite pierre et cette petite pierre ça pourrait être cet acteur là. Je demande à mes directeurs de casting de le/la contacter et à partir de là on se met d'accord et on travaille, mais surtout quand je tombe sur quelqu'un qui a ce charisme et cette force, je ne les lâche plus et j'essaie de les garder de film en film et de les entraîner avec moi dans chacun de mes projets.
Les femmes dans vos films sont des personnages très intéressants (j'adore Ulbolsyn). Elles semblent fragiles, mais au final, elles sont très fortes. La façon dont vous les placez au cœur de vos histoires m'interroge : êtes-vous un réalisateur féministe ?
Je pense que oui. Quand je regarde le monde, je trouve que tout ce qui est mauvais émane des hommes et que les femmes apportent surtout le bien, donc oui, je pense que je suis un féministe.
Dans vos films, on retrouve souvent une figure du père absent ou alors une personne qui est pire pour sa famille que s'il n'était pas là. Pourquoi ce type de personnage est-il si souvent présent dans vos œuvres ?
En fait, je je n'avais pas pris conscience à quel point c'était récurrent chez moi jusqu'à ce que l'acteur Berik Aytzhanov (l'acteur principal du film STEPPENWOLF) me dise un jour en répétition : 'je vais encore devoir tuer mon père pour ce film' et là je me suis dit mais qu'est-ce que j'ai, j'ai un espèce que complexe d'Œdipe en effet, donc c'est absurde. En vrai, je pense que la réponse est dans le fait que c'est pour moi de l'ordre de la mythologie, de la rébellion face à la loi divine, face à la tradition du patriarcat dans le système, en fait cela revient à la loi du père si vous voulez. Je n'ai pas du tout vécu des relations difficiles avec mon père. Mon père était quelqu'un de très calme, de très posé. Il est décédé quand j'avais 16 ans. Je ne peux pas dire qu'on était proche ou qu'on se comprenait très bien, mais on n'avait pas du tout d'antagonisme, on avait plutôt des bonnes relations, un peu distantes. J'étais beaucoup plus proche de ma mère. On avait une très forte compréhension mutuelle, une vraie proximité. Je pense que dans mes films, s'il y a autant de pères problématiques ou de personnages qui se rebellent contre leur père, c'est parce que mes personnages sont des rebelles et que le père représente toujours la loi.
Le Kazakhstan est un vrai personnage dans vos films, il fait partie de la personnalité de ces derniers. Vous situez souvent vos films dans la steppe. Vous avez déclaré dans une interview que vous ne tourneriez pas ailleurs qu'au Kazakhstan, mais on voit dans MOOR que vous tournez dans une ville ce qui est moins identifiable comme faisant partie du Kazakhstan. Cela signifie-t-il que vous pourriez éventuellement décider de tourner ailleurs qu'au Kazakhstan ? Si oui, quel pays choisiriez-vous et pourquoi ?
Je ne suis pas sûr que je pourrais tourner ailleurs qu'au Kazakhstan. Je pense que pour tourner dans un pays réellement, il faut se plonger profondément dans la culture de ce pays, comprendre sa mentalité, comprendre sa société. Cela représente du temps, c'est un vrai travail d'études, d'analyse et d'observation. Si on considérait que les pays sont des livres, pour le moment, il n'y a qu'un seul livre que j'ai lu vraiment de bout en bout et c'est le Kazakhstan. Donc je suis pas sûre que je pourrais tourner ailleurs et surtout que je pourrais être utile en tant que cinéaste ailleurs qu'au Kazakhstan.
En juillet, nous avons eu le plaisir de rencontrer Yerden Telemissov au festival NIFFF en Suisse. Il présentait SASYQ. Nous avons discuté un peu avec lui et, bien sûr, nous avons parlé de vous, et il semble que vous ayez eu une réelle influence sur lui. Vous sentez-vous comme le chef de file d'une nouvelle vague du cinéma kazakh ? Si non, pourquoi ? Si oui, comment le vivez-vous ?
Vous m'étonnez en m'apprenant ça parce que pour moi c'est un camarade plutôt ainé, donc je trouve étonnant que je l'ai inspiré d'une manière ou d'une autre. Je trouve que c'est un acteur magnifique. Je n'ai pas vu son film mais j'en ai entendu beaucoup de bien. Non, je ne me considère pas comme un leader d'une nouvelle vague. Probablement que c'est le rêve de chaque réalisateur d'être chef de file de quelque chose, mais je ne crois pas que j'en suis un. Je crois que je trace plutôt mon propre sillon et je ne suis pas sûr que ça influence tant de gens que ça, mais moi, ça me plaît beaucoup.
Vous avez dit lors d'une interview que vous arrivez très préparé sur le tournage, que vous rédigez un storyboard complet et que vous répétez beaucoup avec vos acteurs. Arrive-t-il parfois des imprévus sur le plateau et comment les gérez-vous ?
Vous savez, sur un plateau de tournage, il y a toujours quelque chose qui ne va pas se passer comme prévu. C'est la loi, chaque journée de tournage, il y a quelque-chose qui ne se passe pas comme prévu. Quand on fait autant de préparation, les répétitions, le story board, c'est en fait parce qu'on essaie de conjurer le sort, on essaie de minimiser en fait les dégâts que va provoquer la surprise, parce que si tout est maîtrisé au maximum, alors la surprise, on peut la gérer, on peut s'en occuper. Bien sûr, moi aussi, comme tout le monde, c'est un processus normal pour tous les réalisateurs, quand je travaille avec mon assistant réalisateur et qu'on fait le plan de travail, on prévoit. Ça c'est ce qu'on tourne s'il pleut, ça c'est ce qu'on tourne s'il ne pleut pas, etc... On a toujours un plan B, on a toujours une autre chose à faire si jamais il y a un problème, mais ça c'est comme tout le monde. Mais je pense qu'en tant qu'équipe, on a quand même élaboré des bons réflexes. Je vous donne un exemple. Un jour, en tournage, on devait tourner avec l'actrice qui avait besoin de sa perruque, sauf que ce jour-là, le maquilleur n'avait pas pris la perruque. Ce n'était pas forcément de sa faute, on n'était pas censé tourner avec cette actrice ce jour-là. Donc peu importe. Je pourrais évidemment m'asseoir au lieu de tourner et commencer à chercher le coupable, mais enfin c'est pas la meilleure solution. Dans ce cas, on se dit : 'qu'est-ce qu'on fait ?'. Et 15 minutes après , littéralement 15 minutes après, le directeur artistique et le maquilleur sont arrivés avec une autre perruque, plus ou moins équivalente et on a pu tourner. Et ils m'ont raconté qu'ils ont fabriqué cette perruque à partir des bouts de cheveux qu'ils ont trouvés, qu'ils ont collés sur un carton, et c'était fait. Alors c'était pas la meilleure perruque au monde, mais comme c'était un plan large, c'est passé. Ce n'est donc pas juste moi, c'est toute mon équipe, en fait on a appris à faire face aux imprévus.
Un grand merci à Adilkhan Yerzhanov pour sa disponibilité et son enthousiasme autour du partage de sa passion, à la traductrice Eugénie Zvonkine pour son grand professionnalisme et à l'Étrange Festival pour avoir programmé les films de ce réalisateur attachant et passionnant.